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Le salaire du sniper Il n'y a rien de pire qu'un conflit qui s'éternise1. La pluie avait remplacé la neige de la veille, et une eau boueuse rongeait peu à peu les îlots de poudreuse. Quelques voitures filaient droit devant, tous phares éteints, sur l'ancienne avenue de la Fraternité. Elles bondissaient sur le revêtement défoncé, plongeaient dans les mares noirâtres avant de disparaître derrière les murs ruinés du dépôt des autobus. De temps en temps, une silhouette s'aventurait sur le pont dont les lattes disjointes2 brinquebalaient3 au-dessus des remous de la Milva. Les gilets pare-balles donnaient des carrures4 de joueurs de football américain aux soldats interposés qui observaient la ville depuis leurs châteaux de sable. Au loin, un convoi blindé pénétrait sur le tarmac5 de l'aéro- port pour venir hérisser ses canons autour d'un Hercule C 130 chargé de vivres qui, tout juste posé, s'apprêtait déjà à repartir. Il n'y a rien de pire qu'un conflit qui s'éternise. C'est exactement ce que pensait Jean-Yves Delorce en allumant sa première cigarette de la matinée, debout, derrière la vitre sale du Holiday Inn.5 […] Après quatre mois de présence pratiquement continue à Kotorosk, Jean-Yves Delorce pouvait identifier le son de toutes les pièces d'artillerie disposées sur les collines environnantes. 1 Qui dure longtemps. 2 Mal jointes entre elles. 3 Qui bougent. 4 Largeur du dos à l’endroit des épaules. 5 Zone de circulation des avions. Il avala rapidement l'eau colorée avant de cogner du plat de la main contre la cloison pour signaler à son équi- pier qu'il était prêt, quand le téléphone cellulaire se mit à sonner. La voix de Polex6 se frayait un chemin dans le siècle qui séparait les bureaux climatisés parisiens du palace ravagé de Kotorosk. C'était un Basque massif qui répondait au nom de Paul Exarmandia, mais toute la profession l'avait comprimé en Polex le jour où il avait pris la direction du service étranger, le « pool extérieur » en jargon de métier. — C'est toi, Delorce ? Ça va bien ? — Comme un lundi... — On es